La Taille Directe
Le jour… à peine.
Tailler..tailler!
Comment vous dire…
En taille directe, deux choses: l’intentionnalité, le geste.
-tu ne prends que cela?
-j’veux pas m’encombrer!
Mon intentionnalité, c’est une grande bête, courant. Une grande bête courant, couvrant, parcourant, inlassable, de vastes territoires obscurs, des battements infimes.
Plusieurs semaines, des mois peut-être qu’elle me suit à la trace.
Collée à mes basques, où que j’aille… collée.
Le geste, mon geste, c’est le corps en charpente et le joyeux tapi dans petit matin frileux.
La porte de l’atelier grince.
On s’engouffre tous, en vrac, le corps, l’animal, la peur, l’irrésistible envie, le froid.
Silence
Il est là
Il est là, ce bois.
Comme s’il avait toujours été là…
À m’attendre
À me mesurer…
le corps dans le rythme.
Il s’organise comme il peut.
Le son l’enveloppe…
Sauter dans le vide
Gouge, lame,
fer sur fibre, lame qui incise, lame qui va
Le bois qui s’ouvre
le bois se libère.
Le chêne est si puissamment réflexif
Déjà, j’ai quitté la surface, du monde, des choses
j’entre en épaisseur.
Dans quel temps suis-je… je ne sais.
Le temps propre de l’instant.
L’instant ouvert.
Le son jaillit quand je taille.
Il est devenu interne, sourd et profond, impétueux
Le son incise et me tend.
Je suis dans cette palpitation.
Je marche dessus comme sur un continent nouveau qui s’ouvre, devant.
Je vais, je vais
je vais absolument
je sens ma trajectoire se faire, je sens les bords d’un monde.
J’y suis entièrement, sans contour
ce doit être cela le continuum.
Mon intentionnalité m’a quittée.
Elle s’est détachée, d’elle-même.
Elle a dû rejoindre mon cerveau gauche où elle attend calmement, couchée en boule,
elle attend
Que l’on reprenne la route, après.
Elle est lointaine, mais je peux la voir, encore
Ou plutôt, je sens son regard patient sur mon dos.
Moi, je suis dans le flux, dans l’immense confusion,
la fusion avec,
le mystère qui s’ouvre,
dans ce martèlement obsédant, aussi passive qu’active,
totalement animée face à l’apparition si fragile et sûre de cette forme, ce fragment qui enfin se détache, se découpe entre nous.
Saveur puissante de l’équilibre
Cela s’écrit, cela se fait, cela se conforme…
Ça remplit tout l’atelier!
Être au monde…
Il y a…
Il y a.
Et puis, peu à peu
dans les yeux, des segments blancs, blanc entropique.
Les mots du bout de la séance.
Coup de fatigue
Arrêt.
La porte grince
-t’as bien travaillé?
-pas mal
le corps se recompose
Le corps s’estompe en ordinaire, le grand animal aux pieds.
Nous entrons dans le quotidien, ensemble…
Je pars,
Je pars ainsi flanquée.